«Welcome to Chippendales»
Découvrez la sombre histoire des premiers strip-teaseurs américains

«Welcome to Chippendales», en huit épisodes, s’intéresse au lancement de la première compagnie de strip-teaseurs masculins aux États-Unis dans les années 1970. L’occasion, en creux, de dresser un portrait sans concession de l’Amérique et sa folie entrepreneuriale.
Publié: 12.01.2023 à 18:06 heures
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Raconter toute une époque par le prisme d’un fait divers apparemment sexy et véritablement scabreux, tel semble être l’objectif du scénariste Robert Siegel. Il l’avait fait une première fois avec une série, déjà sur Disney+, avec «Pam & Tommy». Sous couvert de s’intéresser à la fuite de la sex-tape de Pamela Anderson, cette fiction racontait en réalité les débuts d’Internet et le sexisme crasse des années 1990. Le voilà qui recommence avec «Welcome to Chippendales».

Comme son titre l’indique très bien, cette mini-série en huit épisodes se penche sur la naissance, en 1979, de la première compagnie de strip-teaseurs masculins aux États-Unis. On la doit à Somen Banerjee (Kumail Nanjiani, vu dans «Silicon Valley»), immigré indien longtemps employé d’une station service. Après avoir racheté une boîte de nuit de Los Angeles pour en faire un club de backgammon, l’ambitieux doit se rendre à l’évidence: son business model n’est pas le bon. Un tour dans une boîte gay lui donne l’idée de départ. Puisque l’époque est à la libération sexuelle de tout le monde, pourquoi ne pas donner aussi aux femmes l’opportunité de se rincer l'œil?

Il recrute quelques musclés en train de soulever de la fonte en plein air, leur met une chemise à carreaux et un Stetson, et voilà l’affaire lancée. Elle ne décollera que lorsqu’il embauchera Nick de Noia (Murray Bartlett, l’inoubliable gérant de l’hôtel dans la première saison de «The White Lotus»), chorégraphe désœuvré qui comprend plus vite que lui qu’il faut absolument soigner le show et le renouveler régulièrement pour satisfaire un public exigeant.

Le scénariste Robert Siegel, qui avait déjà raconté l'histoire de la sex-tape de Pamela Anderson dans «Pam & Tommy», remet le couvert avec «Welcome to Chippendales».
1/4

L’entrepreneuriat à l’américaine

Évidemment, comme l’annonce la fin du premier épisode, tout cela finira très, très mal. Et évidemment, ce ne sont pas tellement la couleur des strings et l’inventivité des chorégraphies des Chippendales qui intéressent Robert Siegel. La série raconte avant tout l’entrepreneuriat à l’américaine, ou plutôt l’entrepreneuriat masculin à l’américaine. Banerjee, dont le modèle est Hugh Hefner, le fondateur de «Playboy», va peu à peu se transformer en tyran irascible, et le récit se resserrer autour de sa rivalité avec Nick de Noia. Alors que les deux associés se livrent une guerre de communication sans merci, chacun revendiquant la paternité des Chippendales, il n’y a guère que les femmes pour tenir la baraque et éviter que leur égo et leur fierté ne condamnent l’entreprise.

À ce titre d’ailleurs, la série soigne ses personnages secondaires, de la comptable Irene (Annaleigh Ashford, sobre) à la costumière Denise (Juliette Lewis, survoltée), géniale inventrice du pantalon qui s’arrache sauvagement sur scène. Toujours, donc, voilà ces travailleuses de l’ombre obligées de jouer les médiatrices et de calmer le jeu.

Un propos intelligent sur les discriminations raciales

La très bonne idée de la série est d’avoir choisi, pour illustrer la volatilité du rêve américain et la violence à laquelle doit s’astreindre celui qui le poursuit, un protagoniste d’origine étrangère. Méprisé et ignoré par les clients de sa station service, constamment confondu avec un membre du personnel même lorsqu’il est propriétaire de son club, Banerjee est mû du début à la fin par l'idée d'une revanche à prendre. «Les gens comme moi n’arrêtent jamais de se battre», résume celui qui change même son prénom pour se faire appeler Steve.

Pire encore, l’ambitieux tente de se couler dans le moule américain en reproduisant lui-même les discriminations raciales qu’il subit. Une assimilation au forceps et incomplète, puisqu’on lui rappelle que sa couleur de peau (la maquilleuse n’a pas de fond de teint adapté lorsqu’il doit passer à la télévision) ou son accent seront toujours un handicap face aux yeux bleus de son rival, Nick de Noia.

Cette douloureuse ambivalence vis-à-vis des États-Unis, pays qui fait semblant de tout donner pour mieux reprendre, est le véritable sujet de «Welcome to Chippendales». Dans l’une des scènes les plus réussies, Steve et Nick, déjà en froid, se retrouvent à New-York en plein hiver. S’engage alors une improbable bataille de boules de neige, neige que le premier voit et touche pour la première fois. Très vite, le jeu s’arrête et laisse place à de la violence. Tout le propos de la série est là: dans cette impossibilité à jouer comme les autres, puisque l’immigré indien ne connaît pas les règles et que, s’il devait se fatiguer à les apprendre, il s’apercevrait alors qu’elles ne sont pas faites pour le laisser gagner.

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