Pour l'amour de la montagne
«Quand je suis là-haut, je me sens plus vivante que jamais!»

Dès qu'elle le peut, Maya Chollet s'adonne à sa passion: la montagne. Mais la Vaudoise n'en a pas toujours été amoureuse. Après le décès de sa mère, elle s'est éloignée des sommets. Ce 1er décembre, elle lance un podcast, Faces Nord. Témoignage à la première personne.
Publié: 01.12.2022 à 15:09 heures
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Dernière mise à jour: 25.04.2023 à 14:38 heures

- Moi: Je vais être franche, je ne connais rien à la montagne. D’ailleurs la première fois où j’ai fait du ski, c’était en 2017.
- Maya Chollet: Ah oui? C’est étonnant!
- C’est dommage parce que même à l’école, on ne nous a jamais appris à skier. Du coup, la montagne, je la regarde de loin. Elle est belle, mais je n’ose pas m’y frotter.
- Je vois. Mais tu sais, c’est mieux de l’admirer de loin plutôt que de se forcer quand on a peur…

Lorsque je suis allée à la rencontre de Maya Chollet, une amoureuse de la montagne qui vient de lancer un podcast sur les trois faces nord de l’Eiger, des Grandes Jorasses et du Cervin, je me suis dit que ça allait être compliqué puisque les sommets, ce n'est pas mon truc. Mais comme je suis curieuse, je me suis décidée à faire un sujet sur cette alpiniste de 35 ans dont la mère est décédée lors d’une journée d’escalade alors qu’elle n’avait que 8 ans. Résultat: elle m’a presque donné envie de l’accompagner tout là-haut.

«Le décès de ma mère a laissé un vide. Mais je n’en ai jamais voulu aux sommets, au contraire. J’étais attirée par leur grandeur, leurs secrets et j’avais beaucoup d’estime pour ça. J’en ai toujours énormément, d’ailleurs.

Maya Chollet vient tout juste de lancer «Faces Nord» un podcast dédié à l'alpinisme.
Photo: RTS/Laurent BLEUZE

Le respect de la montagne justement, c’est quelque chose de très important aux yeux des personnes qui la côtoient. Encore trop de gens voient en la montagne une occasion de battre des records, de montrer qu’ils sont encore assez jeunes et forts, de se prouver qu’ils sont de vrais hommes ou femmes. Moi, je ne vais pas là-haut pour faire la compét', j’en ai déjà assez fait dans ma vie, j’y vais pour l’aventure, le partage et la découverte.

La montagne: une passion familiale

La montagne, je la connais depuis petite. Enfant déjà, je la parcourais en compagnie de ma famille. Avant même que je ne sache marcher, ma mère me portait dans un sac et chaque week-end ou même durant les vacances, nous partions en randonnée dans les Alpes et ailleurs avec mon père et mon frère.

C’est peut-être parce que je viens d’une famille très active que j’ai la bougeotte. J'ai toujours aimé rester dehors et j’ai fait pas mal de sport. Encore aujourd’hui, impossible pour moi de rester un week-end chez moi affalée dans le canapé à regarder des séries…

Maya et sa maman Ginette.
Photo: DR

Et puis, lorsque j’ai eu 8 ans, j’ai perdu ma mère. Elle était partie faire de la grimpe avec une amie, ses enfants et mon frère. Elle a fait une chute mortelle. On ne sait pas bien ce qui s’est passé, sans doute une erreur de sa part. Son amie n’a rien fait de faux, et pour moi, c’est important que personne ne puisse s’en vouloir.

Pour nous, ça a été très difficile, car j’étais très jeune. Mon père, lui, s’est soudainement retrouvé seul à élever deux enfants en plus de travailler. Très honnêtement, il y a vraiment eu des moments de galère.

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«Après des années à admirer la montagne de loin, j’ai eu envie d’y retourner, d’apprendre à grimper et manier les cordes»
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Mon papa a continué de nous emmener en montagne, mais rien d’extrême, juste des randos et des tours sur des glaciers. Au lieu de faire de l’alpinisme, j’ai fait du sport à haut niveau, mais à basse altitude. J’ai toujours eu une bonne endurance, j’ai fait de nombreux podiums, en course à pied et en triathlon. Sauf qu’après des années à admirer la montagne de loin, j’ai eu envie d’y retourner, d’apprendre à grimper et manier les cordes.

C’est donc tout naturellement (ou presque) que j’ai commencé l’alpinisme. Bon, il faut dire que j’étais nulle au début (rires). J'ai eu de la chance d’avoir des guides de montagne pour m’apprendre peu à peu ce qui me faisait défaut et me partager leur expérience. C’est un cadeau inestimable qu’ils m’ont fait. Et ils en ont eu, de la patience!

La RTS et le livre qui allait tout changer

Côté job, mon métier de journaliste de terrain m'a permis de faire des films et des reportages audio sur la montagne. Rapidement à la RTS, j’ai eu la casquette de «journaliste montagne», pourtant il me reste tant à apprendre! Aujourd’hui, quand je ne suis pas au bureau, il y a de grandes chances pour que je sois sur une arête ou dans une paroi pour y faire un reportage ou juste pour le plaisir.

Maya Chollet à l'intérieur d'un glacier pour la RTS.
Photo: DR

Un jour, lorsque je me trouvais chez un guide, je suis tombée par hasard sur «Les Trois derniers problèmes des Alpes», d’Anderl Heckmair, un livre qui raconte la conquête des trois mythiques faces nord de l’Eiger, des Grandes Jorasses et du Cervin. Cet ouvrage m’a fascinée. Il parle des pionniers de l’alpinisme, de leurs tentatives de gravir ces faces, de leurs échecs, de leurs motivations. J’ai essayé de me le procurer, je l’ai cherché durant des semaines, mais il était en rupture de stock absolument partout. C’est encore le cas aujourd'hui, d’ailleurs. Impossible de le trouver.

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«En un soir, j’ai rédigé le projet Faces Nord, c’était un rêve complètement fou»
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Deux jours après la découverte du bouquin, la RTS lançait un appel à projets de podcasts. C’était en 2019. Tout le monde pouvait y participer. À ce moment, j'avais comme l'impression que deux pièces d’un puzzle s'étaient réunies. En un soir, j’ai rédigé le projet Faces Nord, c’était un rêve complètement fou. Mon envie était d’emmener les gens avec moi, dans ces parois, sur les traces des pionniers, de leur faire découvrir pourquoi certains aiment tant la montagne, ce qu’elle apporte, ce qu’elle fait vivre, de beau, de dur, de triste parfois, et de joie, si souvent.

Et puis, plus aucune émission de radio n’était dédiée uniquement à ce thème après la disparition de l’émission 'Altitudes'. Je trouvais cela triste et dommage. Surtout quand on sait que la montagne couvre plus de 60% du territoire suisse et que les habitants de notre pays aiment les histoires qui lui sont dédiées.

Lancer un podcast: mission (presque) impossible

Le jour de mon anniversaire, j’étais à la salle de grimpe et j’ai reçu un mail de la RTS: mon projet était accepté. J’allais tenter de gravir l’Eiger, les Grandes Jorasses et le Cervin. Je me souviens que le premier truc que me suis dit, c’était: 'Maintenant, va falloir s’entraîner.'

Maya Chollet sur la Face Nord des Grandes Jorasses.
Photo: ©RTS/DR

L’aventure Faces Nord a commencé par la constitution d’une équipe. Des guides pour m’accompagner dans les parois et surtout deux collègues sans qui le podcast n’aurait pas vu le jour: Didier Rossat, réalisateur à la RTS depuis près de 30 ans, qui a trié et monté une centaine d’heures de rushes, et Grégoire Molle, producteur, qui a écouté et corrigé sans relâche nos multiples versions intermédiaires. On s’est appelé le trio, si différents les uns des autres mais unis comme une cordée. Sans oublier Simon Matthey-Doret, journaliste radio à la RTS bien connu des auditeurs romands, parrain de l’aventure et indéfectible soutien moral.

Trois ans, voilà combien de temps il nous a fallu pour sortir cette première saison. Pour être honnête, ça n’a pas toujours été facile. Il y a eu tant d’imprévus, des personnes qui se sont retirées du projet...

Dans les moments difficiles, nous nous sommes demandés s’il fallait vraiment enregistrer. Nous avons décidé que oui, car nous voulions raconter le réel, tout en restant pudiques et corrects envers ceux qui acceptaient de porter les micros.

La différence entre peur et panique

Au-delà des soucis disons logistiques, ce projet impliquait d’avoir un bon mental et de ne pas se laisser submerger par la peur. Alors oui, j’ai déjà eu peur lors de mes ascensions, mais c’était une sorte de peur bénéfique, car elle m’a obligée à rester concentrée.

En fait, je crois qu’il y a deux types de peurs: celle qui vous force à être attentive et celle qui finit par vous submerger. Imaginez-vous sur une autoroute, qui est quand même un espace potentiellement dangereux. Sur place, il faut rester attentif, observer ce qu’il se passe, s’adapter à la route, au trafic. On doit savoir comment dépasser, regarder dans son rétro, anticiper, etc. En revanche, si on se laisse dévorer par la vitesse et les autres infos que l’on doit savoir analyser, on fait n’importe quoi, dont des erreurs potentiellement fatales. Eh bien, c’est pareil pour la montagne.

Je me souviens d’une fois où on avait prévu de faire la face nord de la Lenzspitze avec un ami. Durant la nuit à la cabane, j’ai fait des cauchemars. Au petit matin, je ne le sentais pas du tout. On est quand même partis. Mais au moment d’arriver à la bifurcation entre le chemin pour faire l’arête et celui pour faire la face nord, j’ai dit à mon ami que je ne la sentais pas. Il m’a répondu que lui aussi préférait renoncer. On a fait la Lenzspitze par l’arête, c’était sans doute plus dur techniquement mais nous étions plus à l'aise. Je crois qu’il ne faut jamais aller en montagne la peur au ventre. La panique, justement, il n’y a rien de pire. Ça pousse à l’erreur, à l’accident ou à être dégoûté. Et ce n’est pas le but, au contraire.

Des émotions uniques

Quand je suis en montagne, je me sens vivante. Plus vivante que jamais, en réalité. Très franchement, une ascension vaut tellement plus que toutes mes médailles réunies. Parce que finalement, lorsqu’on fait du sport à haut niveau, mais en plaine, on est en solo. Les émotions que l’on ressent ne sont pas pareilles que lorsqu’on gravit des sommets. Certes, on se dépasse physiquement et mentalement, mais à aucun moment, on ne risque sa vie. Et surtout, on partage quelque chose de si fort avec la personne qui nous accompagne... Une fois partis pour une ascension, plus rien n’a d’importance, sauf l’instant présent. Les pensées parasites, comme des chefs qui vous énervent ou la lessive qu’il reste à faire, n’existent plus. La seule chose qui importe, c’est de redescendre en vie.

Pour Maya, impossible de rester chez elle à ne rien faire. Elle est toujours en vadrouille.
Photo: DR

Je suis heureuse de pouvoir me dire que l’accident de ma maman n’a pas anéanti mon envie d’aller tout là-haut. Si la montagne m’a longtemps impressionnée, elle ne m’a jamais terrifiée. Quant à ceux ou celles qui la craignent, je voudrais leur dire qu’il ne faut pas se forcer ni avoir honte d’avoir peur, qu’elle s’apprivoise, cette peur. La montagne ne bouge pas, elle vous attendra le temps qu’il vous faudra. Et quand vous serez prêts, vous trouverez toujours un guide, une main tendue, un compagnon ou une compagne de cordée pour vous y emmener. Gravir les hauteurs ne peut se faire que lorsqu’on s'en sent capable. D’ailleurs, le jour où tu as envie d’y aller, Valentina, tu peux compter sur moi pour t’accompagner.»

Faces Nord est un podcast de la RTS comportant huit épisodes de Maya Chollet, réalisé par Didier Rossat et produit par Grégoire Molle. À écouter sur Spotify, Apple Podcasts, et Play RTS à partir du 1er décembre 2022. Une deuxième saison est prévue au printemps 2023.

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