16 psys pour 10’000 habitants
Genève, championne du monde des psys

La ville romande compte une densité spectaculaire de psys. Près d’un quart des Genevois font état de troubles psychiques, en raison par exemple de leur déracinement et leur insatisfaction au travail. Mais le taux de suicides est le plus bas du pays.
Publié: 26.02.2022 à 06:00 heures
Léo Michoud

Avec six psychiatres pour 10'000 habitants, la Suisse compte la plus haute densité d’accès aux soins psychiatriques d’Europe. Un classement où les États les plus riches sont en tête: Monaco et la Norvège complètent le podium. Ce qui est surprenant pour la Suisse, c’est que Genève tire fortement la moyenne vers le haut: le canton culmine à seize psychiatres pour 10’000 habitants, soit presque deux fois plus que dans le canton de Vaud, quatre fois plus qu’à Paris et six fois plus qu’à New York (pourtant réputée en la matière). La seule concurrence suisse est Bâle-Ville, qui compte 14 psychiatres pour 10'000 habitants.

C’est également à Genève que la population déclare le plus haut taux du pays en termes de problèmes de santé mentale: près d’un quart des habitants faisaient état de troubles psychiques moyens à importants, selon la dernière Enquête Suisse sur la Santé, parue en 2017. La plupart des professionnels interrogés l’expliquent notamment par la démographie particulière de la ville, composée de 40% de personnes issues de la migration, mais aussi d’une forte population de diplomates et d’employés d’organisations internationales.

«On a davantage de personnes dont on peut dire qu’elles sont déracinées, qui ne bénéficient pas d’un fort réseau de soutien familial ou amical», constate le psychologue Stephan Wenger, co-président genevois de la Fédération suisse des psychologues. Raison pour laquelle, selon lui, la densité de psychothérapeutes, psychiatres comme psychologues, est plus élevée à Genève et Bâle-Ville qu’à Zurich. «En tant que ville-frontière, Genève est exposée aux premiers flux migratoires, estime aussi Panteleimon Giannakopoulos, psychiatre et professeur à l’Université de Genève. Une partie des demandes en soins psychiques est donc absorbée par cette population de passage, très touchée par la précarité, les difficultés d'intégration, et donc plus vulnérable.»

Avant la pandémie, les Genevois étaient près de 8% à déclarer avoir consulté pour leur santé psychique, contre un peu plus de 6% en Suisse.
Photo: DR

Pas de tabou du psy

Avant la pandémie, les Genevois étaient près de 8% à déclarer avoir consulté pour leur santé psychique, contre un peu plus de 6% en Suisse. Selon un rapport commandé par l’OFSP, la demande en soins psychiques a augmenté dans tout le pays durant la pandémie, en particulier depuis début 2021.

Pour Stephan Wenger, un argument culturel entre également en jeu dans le cas genevois : «En Suisse Romande, il est moins tabou qu’outre-Sarine de consulter pour aller mieux.» Un sentiment partagé par le sociologue de la santé Stéphane Cullati. «Culturellement, le canton se rapproche de la France, où l’idée que l’État doit offrir des services en termes de santé est plus répandue », observe le collaborateur scientifique aux Hôpitaux universitaires genevois (HUG). «Les soins apportés à la santé mentale sont plus facilement acceptés dans les centres urbains que dans les régions rurales », précise encore Stephan Wenger.

L’Enquête suisse sur la santé faisait le même constat, observant un déséquilibre dans la «répartition des ressources en personnel spécialisé entre ville et campagne». À titre d’exemple, on compte trois fois plus de psychiatres et de psychologues à Bâle-Ville qu’à Bâle-Campagne, bien que ce dernier canton compte 100'000 habitants de plus. «L’environnement urbain amène à des modes de vies qui génèrent du stress et de l’isolement, sources de détresse et de souffrance, explique Loïc Deslarzes, président de l’association genevoise des psychologues (AGPsy). La somme des évènements stressants au quotidien peut générer le besoin de trouver du soutien auprès d’un professionnel.»

Grande insatisfaction professionnelle

Autre particularité genevoise: la relation au travail. Selon les chiffres de l’Enquête suisse sur la santé, la part de Genevois qui déclarent une faible à très faible satisfaction au travail est de 22,5%, contre 10,7% au niveau national. «À Genève, le monde du travail est tendu, note Stéphane Cullati. Le travail représentant une grosse partie de nos vies, cela peut expliquer un besoin d’aide et une nécessité de consulter plus importants.»

La cité internationale entretient un rapport étroit avec les soins apportés à la santé mentale. Historiquement d’abord, Genève est le berceau du psychologue de l’enfance Jean Piaget et de son ainé Edouard Claparède, fondateur de l’institut Jean-Jacques Rousseau. La psychanalyse – avec Charles Baudouin, fondateur du plus ancien institut francophone de cette discipline et dont la pensée s’est affranchie des courants de Jung et de Freud – et la psychiatrie ne sont pas en reste. «C’est tout un mouvement académique qui s’est intéressé au bien-être et à la santé mentale, relate Stéphane Cullati. Cette tradition a attiré à Genève des praticiens qui voulaient y participer.» Bon nombre d’étudiants ayant fait leurs études à Genève - dans les sections de psychologie et de psychiatrie de l’UNIGE – finissent d’ailleurs par y installer leur cabinet.

Genève possède également un tissu très riche d’acteurs de la santé psychique. Des centres de soin, une politique de santé publique forte, des initiatives en place depuis des années, des associations comme Minds, qui promeut la santé mentale, Trajectoires, qui oriente dans les divers services psychologiques de la ville, ou encore Le Relais, qui offre du soutien aux proches de personnes souffrant de troubles. Toutes ces structures concourent à sensibiliser la population au bien-être mental.


Taux de suicide le plus bas du pays

Des habitants plus décomplexés et nombreux à consulter un psychiatre ou un psychologue et une densité importante de «soigneurs de l’âme»: ces éléments accordent-ils à Genève une meilleure réponse aux problèmes de santé mentale de ses habitants? Genève est régulièrement le canton où le taux de suicide est le moins élevé de Suisse. Pour le psychiatre Panteleimon Giannakopoulos, «il est clair que la demande en soins psychiques est énorme et que le système est sous pression. Mais Genève y répond plus vite que d’autres villes.» Avec un tel nombre de psychiatres, on ne peut pas, selon lui, parler de pénurie. C’est pourtant le terme employé par la plupart des professionnels face à la difficulté d’obtenir un rendez-vous avec un psy. Une réalité qui a augmenté dans la Suisse entière avec la pandémie.


(En collaboration avec Large Network)

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