Doris, 71 ans, raconte son endométriose
«Je n'avais pas d'autre choix que d'accepter une ablation de l'utérus»

Après avoir supporté de terribles douleurs pendant de nombreuses années, Doris Frankenberger a choisi l’ablation de l’utérus, pour soulager les symptômes de son endométriose. À 71 ans, la Vaudoise nous parle de ses souffrances passées et de sa joie de vivre.
Publié: 29.05.2024 à 18:10 heures
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

L’endométriose n’est plus un tabou. On sait aujourd’hui qu’il s’agit d’une maladie utérine compliquée, touchant une femme sur dix, souvent accompagnée d’atroces douleurs qui accablent le quotidien. Le sujet n’est plus murmuré à voix basse ou questionné d’un air perplexe, tel qu’il l’était dans les années 60, lorsque la phrase «Mais c’est normal d’avoir mal, Madame!» était aussi répandue que les chemisiers à pois. 

Cette époque, Doris Frankenberger l’a vécue. Elle me l’a racontée sans euphémisme, autour d’un thé brûlant, sur la banquette boisée d’un petit café de la région lausannoise. Pétillante et positive, cette courageuse Vaudoise de 71 ans avait accepté de témoigner, après avoir découvert la newsletter Blick du 22 mars dernier, dont le thème du jour était l’endométriose: «Cette maladie est dévastatrice et heureusement qu'aujourd'hui le monde médical en parle, m’avait-elle confié par mail. Mais il aura quand même fallu de nombreuses années pour qu'elle soit mise au grand jour et que le public en prenne connaissance!»

Quelques semaines plus tard, nous nous retrouvons pour l’interview et je réalise immédiatement que Doris va bien. S’il fallait employer le champ lexical de la bataille, on pourrait dire qu’elle a gagné. L’endométriose est vaincue: la douleur n’est plus qu’un lointain souvenir qu’elle relate avec la précision caractéristique des moments qui ont marqué l’existence. Néanmoins, avant d’atteindre cette paix intérieure, cette liberté retrouvée, le chemin a été long et tortueux. 

Aujourd'hui, quarante ans après son hystérectomie totale, la Vaudoise est en pleine santé, aime danser, marcher et écouter de la musique joyeuse.
Photo: DR

«C’est normal d’avoir mal pendant les règles»

«Les douleurs ont commencé lorsque j’ai eu mes premières règles, à douze ans et demi, explique Doris. Ma mère m’avait indiqué que c’était normal, qu’elle aussi avait toujours beaucoup souffert durant les menstruations. Je me rappelle qu’enfant, je voyais parfois ses serviettes sécher dans la salle de bain: nous n’avions pas encore de protections hygiéniques comme aujourd’hui et personne ne parlait du sujet des règles. On ne disait rien du tout, il fallait faire comme si elles n’existaient pas.» 

Sur les conseils de sa Maman, Doris décide de serrer les dents. Une fois par mois, au moment des règles, ses cours et ses activités quotidiennes devenaient un supplice: «Je n’arrivais pas à concevoir que cela puisse être normal, je demandais à ma mère: ‘Mais que se passe-t-il dans mon ventre?’ Il a fallu du temps pour qu’on prenne au sérieux l’intensité de mes symptômes. On me disait que c’était dans ma tête, mon ex-belle-mère me disait de moins me plaindre, me reprochait de ne pas avoir assez de caractère… Mais quand une jeune fille se plaint de fortes douleurs, il faut l’écouter.» 

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«Je n'aurais jamais pensé trouver ça chez vous»

À l’âge de 28 ans, en 1981, lorsque Doris travaille en tant qu’employée de commerce, elle se rend à l’évidence: quelque chose ne tourne réellement pas rond. «J’avais des douleurs chroniques insupportables, ainsi que des nausées tous les jours, qui empiraient durant les menstruations. Malgré cela, je n’ai jamais manqué un seul jour de travail! Même pliée en deux, j’allais au bureau. Mais sentant que quelque chose n’allait vraiment pas, j’ai pris rendez-vous chez mon médecin, qui m’a diagnostiqué une inflammation des trompes. J’ai pris les antibiotiques qu’il m’a prescrits, mais les douleurs sont revenues au galop. Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait.»

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«C’était la première fois que j’entendais parler de cette maladie et le médecin n’a pas vraiment su m’expliquer d’où elle venait»
Doris Frankenberger, a subi une hystérectomie
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De retour chez le médecin, Doris se voit proposer une endoscopie, une brève intervention permettant d’observer la région de l’utérus depuis l’intérieur, afin d’analyser l’origine des douleurs. «J’ai été hospitalisée et opérée à la clinique de la Source, à 11h. Le docteur m’avait dit que l’intervention ne durerait que quinze minutes, mais je me suis réveillée à 14h, avec des perfusions partout. Une infirmière m’a expliqué que l’opération avait été plus compliquée que prévu.» Doris découvre alors que son ovaire et sa trompe gauches, rongés par l’endométriose, ont dû être retirés: «C’était la première fois que j’entendais parler de cette maladie et le médecin n’a pas vraiment su m’expliquer d’où elle venait. Il disait qu’il n’aurait jamais pensé trouver cela chez moi.» 

«Ma pauvre dame, vous avez dû atrocement souffrir!»

Grâce à cette première opération, Doris connait enfin une année de répit: «Puis les douleurs sont réapparues. En 1984, elles étaient redevenues aussi intenses qu’avant. Mon médecin m’avait prévenue que l’endométriose risquait de revenir, donc j’ai repris rendez-vous. Il m’a avoué qu’il ne savait pas quoi faire, comme j’avais seulement 31 ans et pas encore d’enfants. ‘On ne peut pas enlever un utérus comme ça’, a-t-il déclaré.» À ce moment-là, sur le conseil d’une amie, Doris s’est rendue auprès d’un gynécologue «tout juste installé», afin d’obtenir un deuxième avis.

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«L’idée de ne pas avoir d’enfants m’a attristée, mais je n’avais pas d'autre choix que d'accepter l'ablation de mon utérus: je ne pouvais pas continuer de vivre ainsi»
Doris Frankenberger, a subi une hystérectomie
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«J’ai demandé à ce jeune médecin ce qu'il ferait à ma place et il m'a avoué qu'il penchait pour l'ablation de l'utérus.» Face à cette possibilité, Doris demande un temps de réflexion. Hésitante, elle en discute avec son mari de l’époque, qui lui conseille de choisir l’hystérectomie: «Mon conjoint n’a pas douté un instant. Il avait peur pour moi et a insisté sur le fait que la santé était plus importante que tout. L’idée de ne pas avoir d’enfants m’a attristée, mais je n’avais pas d'autre choix que d'accepter l'ablation de mon utérus: je ne pouvais pas continuer de vivre ainsi.» 

Alors, le 20 décembre 1984, Doris retrouve la clinique de la Source pour une hystérectomie totale. «Quand je me suis réveillée, après trois heures d’opération, l’anesthésiste m’a annoncé que mes intestins étaient collés à mon utérus et qu'ils auraient pu éclater si j’avais attendu plus longtemps. Il m’a dit, un peu choqué, ‘Ma pauvre petite dame, vous avez dû atrocement souffrir!’». 

«Tu es encore une femme, sans utérus?»

Dès le premier jour, Doris se sent infiniment libérée: «Je n’avais jamais été aussi bien de ma vie, se souvient-elle. Plus aucune douleur! J’ai été triste de passer les Fêtes à la clinique, je me souviens avoir pleuré en entendant des chants de Noël. Mais après quinze jours à l’hôpital et un mois de convalescence à la maison, j’allais tellement bien! Je devais suivre un traitement hormonal à base de progestérone pour éviter les bouffées de chaleur, mais je l’ai arrêté du jour au lendemain vers mes 48 ans, après avoir lu que ce type de médicament pouvait augmenter les risques de cancer du sein. Heureusement, en interrompant le traitement, je n’ai ressenti aucun désagrément, tout allait bien.» 

La nouvelle s’avère toutefois plus difficile à digérer pour sa Maman, chagrinée d’apprendre que sa fille n’avait plus d’utérus. Doris se souvient effectivement du regard de ses proches sur sa situation: «Certains amis me questionnaient, me demandaient si j’étais toujours une femme, psychologiquement, sans utérus. Mais je leur répondais que je me sentais évidemment encore femme, que j’avais eu beaucoup de chance, que ma cicatrice était cachée sous mes vêtements et que je n’étais pas à plaindre, surtout en comparaison avec les femmes ayant souffert d’un cancer du sein par exemple, qui doivent apprivoiser un tout nouveau corps.» 

«Heureusement que le monde a évolué»

Aujourd’hui, Doris vit sans la moindre douleur. Elle sourit, adore danser, marcher et chouchouter les quatre petits-enfants de celui qui partage sa vie depuis vingt ans. En pleine santé, elle profite d’une vie bien remplie, déborde d’énergie au quotidien et ne souffre plus d’aucune douleur: «Ma médecin me dit que j’ai une pression artérielle de jeune fille, se réjouit-elle. Je n’ai pas de cholestérol, pas de diabète…». Lorsque le MAD de Lausanne organise des soirées dédiées aux seniors, Doris se précipite sur la piste: «J’ai dansé toute ma vie, à tous les âges, et ma Maman avait sa propre école de danse. Cela m’a énormément aidée lorsque j’affrontais toutes ces douleurs. Le fait de bouger mon corps m’aidait à penser à autre chose.» Sa joie de vivre est communicative et, à force de parler de danse, j’oublie presque que nous étions initialement venues discuter d’endométriose. La preuve que la maladie n’a jamais su prendre le dessus sur le récit de Doris. 

«Heureusement que le monde a évolué, soupire-t-elle. Je suis heureuse qu’on parle de l’endométriose, qu’on écoute davantage les jeunes filles lorsqu’elles évoquent leurs douleurs. Personne ne devrait souffrir ainsi sans être prise au sérieux.» 

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