Michel Jeanneret rencontre Léon Salin
J’ai parlé de néopénis et de ce qui fait qu'on est «mec» avec un homme trans

Pourquoi les personnes trans n’aiment pas parler de parties génitales? Comment on opère pour se faire un pénis? Qu’est-ce qui fait qu’on est un mec? J’ai conversé avec Léon Salin, homme trans de 26 ans, et je crois pouvoir affirmer que je suis devenu un peu moins con.
Publié: 31.03.2024 à 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 31.03.2024 à 09:48 heures
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Michel JeanneretRédacteur en chef

Je suis une personne cis de 50 ans. Léon est un homme transgenre de 26 ans. Ce constat banal suffit pour supposer qu’on a à peu près toutes les raisons d’avoir un échange difficile. C’est précisément la raison pour laquelle je voulais qu’on se rencontre. Et alors? J’ai appris beaucoup de choses sur une réalité méconnue et j’ai été profondément touché par la lumière de Léon. En pleine journée pour la visibilité transgenre, voilà notre échange, retranscrit comme on s’est parlés.

Léon, on se connaît pas, mais je vais te poser des questions cash parce que t'es super ouvert et que tu parles de tout. Est-ce que tu penses que ça pourrait te mettre mal à l'aise?
Euh… Oui, bien sûr, je suis comme tout le monde. Et en tant que personne trans, il y a beaucoup de questions qui peuvent me mettre mal à l'aise. Mais je commence à être immunisé. Au moins, aujourd’hui, je ne suis plus heurté. Ou alors il faut aller assez loin. Et j’ose dire que telle ou telle question se pose pas.

Bon, on met tout de suite les choses sur la table. C’est quoi, ces questions?
C’est toujours des trucs liés à la sexualité, des détails sur la façon dont je couche. En même temps, ça dépend beaucoup de qui me les pose. J'arrive assez vite à discerner si c'est une question qui vient d'un endroit qui est okay, ou si c'est une question posée avec une intention 'dèg'.

Léon Salin est un homme transgenre qui est très actif sur les réseaux sociaux.
Photo: Gabriel Monnet

Parler de transidentité, encore, toujours, y a pas des fois où t’en as marre? Où tu te dis que ça prend trop de place? Parce qu’avec ton rôle d’influenceur et les formations que tu donnes sur la thématique, ça prend vraiment TOUTE la place.
Dans ma vie, ça prend toute la place, c'est vrai. Mais c’est mon rôle public. Mon travail et mes journées sont liées à ça: la transidentité. Mais par contre, dans ma vie privée, c'est assez peu là. Avec ma femme, ma copine, on ne parle jamais de ces questions.

Léon est en couple avec Lakna, une chanteuse romande.
Photo: Gabriel Monnet

Okay mais ton rôle public, ça prend beaucoup de place dans ta vie…
Bien sûr, mais tu sais, ça fait partie de moi et je suis hyper fier de porter cette lutte parce qu’elle est essentielle. Dès que tu mets un pied en dehors des milieux LGBT, tu te rends compte qu’en fait les gens ne comprennent rien, qu'ils ne connaissent rien et qu'ils ont plein de questions.

J’en ai plein, justement. Tu soulignes toujours que t’es 'un mec trans'. Pourquoi pas juste 'un mec'? T’as tellement bossé pour te débarrasser de ce corps de femme qui n'était pas le tien, pourquoi le rappeler toujours à travers l'évocation de la transidentité? Dans le privé, tu es aussi comme ça, ou c’est juste parce que tu es militant?
Pour être 100% honnête avec toi, il y a des fois où j'aimerais juste être 'un mec'. Même 'un mec cis'. Qu'on me perçoive comme ça, que je vive comme ça. Mais c’est pas possible, parce que j’ai pris une place énorme dans les luttes trans, sur les réseaux et dans les médias. Et même si en face, la personne pourrait ne pas savoir qui je suis, parce que je ne suis pas non plus tellement famous, je vais toujours me demander si elle ne m’a pas vu dans un reportage. Du coup je préfère mettre les choses au clair, prendre les devants et dire «je suis un mec trans». Ça fait aussi partie de ma lutte.

En gros, si je t'invite au repas que j’ai tous les premiers jeudis du mois avec mes potes, bim, tu vas poser ça sur la table.
Ha ha, non, là peut-être pas. J'attendrai qu’on me dise «hé, mais je t'ai vu quelque part…»

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«Les gens ont tellement une image négative des personnes trans qu'ils se disent que ça ne pourrait jamais ressembler à un mec normal»
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Et quand ça se passe comme ça, que tu déballes, t’obtiens généralement quoi comme réaction? Sur les réseaux sociaux, j’imagine sans peine que tu reçois des menaces de mort, mais en face-à-face, c'est autre chose.
J’ai beaucoup de «Ah ouaiiiis?», «Ah putain!» En fait, les gens, ils n'imaginent pas qu'un mec trans, ça ressemble à moi. Ils ont tellement une image négative des personnes trans qu'ils se disent que ça ne pourrait jamais ressembler à un mec normal. D’ailleurs toi, si tu le savais pas et que je te l’apprenais, tu réagirais comment?

Ben je pense que j’aurais été super étonné, parce que c’est vrai que ça se voit pas du tout.
Et quand ça se voit, t’as quoi comme réflexe face à une personne trans?

Mmmmh… Bon j’ai cinquante ans, j’ai vécu les 35 premières années de ma vie sans aucune connaissance sur les personnes que j’ai longtemps appelées transsexuelles, tu vois, donc ça te pose un peu le tableau. Je vais sûrement pas en ressortir grandi, mais je dois t’avouer que pour un mec un peu binaire comme moi, c’est quand même toujours assez déstabilisant d’être confronté à une personne inclassable, fluide entre deux genres. J’ai d’ailleurs une question un peu con à ce sujet, je te la pose?
Vas-y!

Ces personnes qu’on ne peut en quelque sorte pas classer et qui semblent encore en transition, elles sont parfois considérées comme moins belles ou moins 'réussies' — désolé pour cet horrible terme — au sein même de la communauté LGBT. Parce que même si vous prônez la tolérance, j’imagine que vous êtes aussi mesquins que les cisgenres hétéros…
On est sneaky comme tout le monde, c’est sûr. Mais ce que tu dois savoir, c’est que toutes les personnes trans n’ont pas envie d'avoir ce qui s'appelle un passing comme le mien. Beaucoup de personnes trans ne visent pas ça, notamment parce que certaines se considèrent comme non-binaire et n’ont justement pas envie d'être catégorisées en tant qu’homme ou femme.

Ça doit être super dur à vivre pour ces personnes, elles doivent récolter des regards terribles.
Ah oui tu peux le dire… Ça fait une année que j’ai atteint le physique que je souhaitais, mais j’ai passé trois ans de transition très difficile, dans ce corps qui n’était pas le mien. On vit évidemment des humiliations.

Comme?
Comme ce jour où je suis allé à l’aéroport avec mes parents. Il y a toujours un mec pour fouiller les mecs et une meuf pour fouiller les meufs. Ils se regardaient en riant parce qu’aucun des deux ne savait qui devait s’occuper de moi. Je suis resté planté devant le portique, c’était hyper humiliant.

Je comprends mais tu sais, les hétéros un peu basiques de ma génération, on a souvent peur de faire faux.
Alors avoir peur de faire faux, c'est bien. Ça veut au moins dire qu’on en a quelque chose à foutre, qu’on prend en compte le ressenti des autres. D’ailleurs comme toi, je prends aussi des précautions. Ça m'arrive souvent d'être en soirée et d'avoir en face de moi des personnes trans, sans savoir si elles sont femmes trans, hommes trans ou non-binaire. La seule différence entre toi et moi, c'est que moi, je vais savoir comment poser la question.

Rends-nous service, alors. Il faut la poser comment, la question?
Ha ha ha, en fait, quand tu es un mec cis hétéro blanc et que t’as 50 ans, y a pas de bonne manière.

Et merde, on est foutus.
Non, je rigole. En vrai, c'est beaucoup plus délicat, on va pas se mentir. On assume tout de suite que vous allez être un peu… Que vous êtes contre, en fait. Contre notre existence, juste par votre phénotype, ce qui est assez violent comme jugement de notre part, il faut l’admettre. Mais bref, pour revenir à la question, vous pouvez simplement demander: «C’est quoi tes pronoms?» Ça montre que vous avez réfléchi à ça et que vous êtes dans le respect.

Je t’ai entendu dire un jour qu’on est tous non-binaires. Tu veux dire quoi par là? Je serais non-binaire, moi?
Quand je dis qu’on est tous non-binaires, je le dis philosophiquement. Pour moi, le genre est une construction sociale, ce qui veut dire qu’il n’existe pas. Mais affirmer ça, ça ouvre clairement le champ à des questions complexes. Dans ma transition, je me suis des fois dit: «Mais putain, pourquoi je transitionne vers un mec alors que le genre n’existe pas?» Pourquoi tout ça, alors qu’il existe un sexe, mais pas un genre.

Léon est très actif sur les réseaux sociaux. Il poste de nombreux contenus pour sensibiliser et visibiliser le quotidien des personnes transgenres.
Photo: Gabriel Monnet

Et t’es arrivé à quelle conclusion?
Que dans notre société, si tu ne te conformes pas un minimum, c'est trop violent.

Donc on a un sexe, assigné à la naissance, dont on fait ce qu’on veut parce que c’est une histoire privée, et un genre dont on devrait se foutre parce qu’il n’existe pas. En résumé, on fait beaucoup d'histoires parce qu'on a besoin de se ranger dans des cases. C'est ça?
Euh, oui, c’est bien le problème. C’est pour ça qu’on se bat. Parce qu’on ne nous laisse pas vivre comme on veut et que ces cases sont hyper ancrées et restrictives. Je te promets que je préférerais vivre tranquille, mais c’est impossible pour les gens de ma communauté. Tu ne peux pas te rendre compte de ce qu’on vit, à quel point la rue dans laquelle toi tu déambules tranquille est une zone de guerre pour une femme trans qui porte une marque de corps masculin.

C’est un peu chaud comme transition, j’espère que tu me pardonneras, mais au-delà du côté intime que je comprends parfaitement, pourquoi est-ce que les personnes trans n’aiment pas parler de ce qu’elles ont entre les jambes?
Ce qui est dérangeant, c'est que c'est une curiosité directement sur les parties génitales qui n'est placée QUE chez les personnes trans. Il y a une espèce d'obsession fatigante sur nos parties génitales qui est liée à la fétichisation des relations sexuelles.

Okay, je comprends bien que c’est pas la première question à poser, mais la curiosité est un peu normale. Et ça contribue à faire tomber les tabous. Tu racontes bien que tu as eu une double mastectomie. Là, il s’agit aussi d’un acte chirurgical. C’est bêtement mécanique. Ça devient intime si on demande comment on se 'sert' de ses parties génitales, non?
C’est une question de contexte, en fait. Quand quelqu’un m’aborde en me posant la question, c’est clair que je me braque.

Ah oui bon ça on est tous d’accord que ça s’appelle un gros con.
Oui, mais ce que je veux dire, c’est que si j’ai une longue discussion avec quelqu’un et que je suis en confiance, je vais assez vite parler de ça, expliquer pourquoi la pénoplastie ne m’intéresse pas.

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«Quand les gens apprennent que je n'ai pas de pénis, ils se disent, 'mais putain, c'est quoi être un mec, en fait?'»
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Je ne voulais pas te faire dire comme ça que t’es pas opéré, mais alors allons-y. Pourquoi ça t’intéresse pas? Tu t’es battu pour avoir le physique qu’on associe à un mec, pourquoi pas jusqu’à ce détail? Parce que t’as pas besoin de ça pour te sentir…
… mec, en effet.

Ben ça ferait du bien à beaucoup de cisgenre de penser comme toi, quand je vois l’importance qu’on accorde à ce qu’on a entre les jambes…
Alors ça, tu l’as dit. Il y a un traumatisme énorme lié à ça chez les mecs, cette histoire de taille, c’est vraiment ouf. Ça m’a pris du temps d’en arriver là et je peux pas affirmer que je changerai jamais d’avis, mais je te dis pas la liberté que c’est de pas avoir de pénis. Même si c’est ce qui dérange chez moi, en fait.

Comment ça, ça 'dérange' chez toi?
Ben oui, les gens, quand ils me voient, ils se disent, okay, c'est un mec. Et quand ils apprennent que je n'ai pas de pénis, ils se disent, «mais putain, c'est quoi être un mec, en fait?» D’ailleurs je te la pose: qu'est-ce qui fait de toi un homme, Michel?

Ouafff… Une somme d’hormones? … C’est nul, tu trouves?
Franchement, c’est pas terrible…

Oui, en même temps attends, c’est pas évident. Je me la pose jamais. Bon… je pourrais aussi te dire que ce qui fait de moi un homme, c’est le regard que posent les gens sur moi. C’est les autres qui font de moi un homme.
Alors ça, tu vois, j’aime bien. Le genre, ça se vit à travers les autres. C'est pour ça que j'ai transitionné aussi physiquement. Je me suis toujours vu avec un torse plat dans mon imagination, mais les autres me renvoyaient une autre image et ça m’était insupportable. Quand ton ressenti et le regard des autres ne coïncide pas, c'est là que tu souffres.

Photo de Léon à 17 ans, avant sa transition, tirée de son compte Instagram.
Photo: @salinleon

Si tu changes d'avis et que tu veux quand même un pénis, tu ferais une phalloplastie, ça s’appelle comme ça? C’est dangereux? On finit avec quoi concrètement entre les jambes?
Oui ça s’appelle comme ça et c'est la construction d'un néopénis. En gros, on te met des ballons dans le ventre, on les gonfle pendant quelques mois et ça permet de prélever la peau du bas du ventre qui est fine et sensible. Ensuite on constitue un pénis avec, on relie toutes les terminaisons nerveuses. C’est une grosse opération, mais elle donne des résultats assez dingues.

Qu'est-ce qu'on fait du clitoris? Il est greffé à l'endroit du gland?
Ouais, c’est ça et une pompe te permet d’avoir une érection. Même si certaines regrettent, les personnes qui l’ont fait sont généralement contentes, voire hyper contentes. Après il faut tomber sur le bon chirurgien…

Et ça se trouve en Suisse?
Il y a un chirurgien qui fait ça au CHUV, mais il n’y en a pas beaucoup en Suisse, comparé à des pays comme les États-Unis où il existe des cliniques qui sont tenues par et pour des personnes trans, comme à New York. Ça, c'est le rêve ultime.

Donc la Suisse est nulle.
Pas pour tout. Des personnes viennent du monde entier à Zurich pour se faire enlever les seins par Britta Von Stumberg. Elle est incroyable en mastectomie.

Désolé de revenir à l’entrejambe, mais j’ai d’autres curiosités. Parle-moi des prothèses péniennes que portent certains hommes trans qui ne sont pas opérés. Ça marche comment?
Il en existe plusieurs genres. Moi j’en porte une en silicone tous les jours. Elle me permet d’uriner debout et ça j’adore.

Donc tu vois: ce sexe, il compte quand même pour se sentir mec…
Oui et non, c’est encore une histoire de regard des autres, tu sais, pas de sexualité. Uriner debout, c’est très symbolique et quand je le fais dans la nature, ça me procure toujours ce qu’on appelle une euphorie de genre.

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«Être une personne trans, ça permet de faire un beau tri. Les connards, il se cassent tout seuls»
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J’ai une question qui me vient et j’espère qu’elle sera pas blessante. Tu te sens encore une femme quelque part?
Réponds-y d’abord: tu es une femme quelque part?

Oulala… Je sais pas, peut-être. Enfin c’est vachement compliqué. Je suis peut-être 'une femme' dans ce qu’on leur assigne: une forme particulière d’empathie et de sensibilité. Et je préfère souvent discuter avec les femmes parce que je les trouve plus riches.
Pour moi tu mélanges femme et féminité. Je n’ai jamais été une femme et même si j’ai une facilité accrue à connecter avec la féminité, parce que j’ai eu mes règles par exemple, j’ai toujours été très masculin, même pendant mon adolescence.

Tu as dit avant que tu étais arrivé où tu voulais dans ton corps. Est-ce que tu es arrivé où tu voulais dans ta tête?
Non et je pense que je n'y arriverai jamais. Je veux pas être pessimiste, mais la réalité, c'est que le monde est tellement violent avec les personnes trans que je suis constamment en train de me remettre en question. Pas dans le sens 'est-ce que je ne suis pas une personne trans'. Le chemin est fait. Je suis un homme, je n'ai pas de question là-dessus. Mais je me rends compte que je suis encore dans des schémas de validation. Je cherche à valider aux yeux des autres que je suis un homme tout le temps. Et ça, j'aimerais bien réussir à m’en libérer.

Parle-moi de ça:

Photo: Gabriel Monnet

J'ai une relation très spéciale avec le sport, ça me rend complètement fou. Je suis HYPER compétitif, je veux niquer tout le monde, c’est horrible. Je me mets dans des situations qui ne sont absolument pas nécessaires. Je fais des trucs de dingos, des Spartan Race en élite.

Et du coup tu niques tout le monde, même les mecs cis?
Ha ha, je les défonce. Et ça s’arrête pas là. Tu peux pas savoir le bien que ça me fait quand je soulève deux fois plus que mes potes mecs au fit'. Mais en même temps j’aimerais pouvoir me libérer de tout ça.

Tu es heureux?
Franchement, de ouf. Je suis tellement heureux dans ma vie. La transition, ça te force quand même à faire un travail de malade sur toi-même. J’ai fait tout ça alors que j’avais à peine 20 ans et ça amène une compréhension de bien des mécanismes intimes et psychologiques qui est hyper agréable à vivre.

Tu es bien entouré?
Clairement. Être une personne trans, ça permet de faire un beau tri. Les connards, il se cassent tout seuls. Et j'ai une femme (ndlr: Lakna, artiste R’n’B ouvertement bisexuelle qui se produira à Paléo cette année) qui est absolument incroyable. Mes amis, c'est des gens qui vivent des choses similaires ou sont hyper compréhensifs.

Donc tout roule.
Oui et non. Je dois quand même faire face à des difficultés. J’ai un master en communication digitale et personne ne veut m'engager à cause de ma position publique autour de la transidentité. Ce qui fait que ça m'a forcé à monter ma propre entreprise.

Et bon tu dois te coltiner les insultes. C’était quoi la pire?
Certainement quand quelqu’un m’a dit qu’il voulait me brûler le visage à l'acide.

Et tu te protèges comment de cette folie?
Déjà, je lis très peu mes messages et les commentaires sur les réseaux. Mais surtout, ça va peut-être te paraître méga hautain, je suis hyper fier de moi-même et de tout ce que j'ai fait. Quand je vois ces gens qui s'énervent, qui s'excitent sur ma propre existence à cracher que je suis contre-nature et que je dois mourir, je me dis que c’est pas un minable derrière son Mac qui va décider de ma vie. Mais j’ai de la chance. Je suis bien entouré, j’ai une situation socio-économique agréable, je suis blanc. D’autres personnes trans sont beaucoup plus fragilisées.

Est-ce qu’un jour les personnes trans seront acceptées?
Pfff, difficile d'être optimiste. Au début, quand notre communauté n’était pas connue, personne n’avait un avis. Mais maintenant, avec la visibilité que nous donne notre lutte, tout le monde s’en est fait un et il est quand même très négatif. Je dirais que 90% de gens sont transphobes.

Jusque dans la peau, Léon ancre son identité.
Photo: Gabriel Monnet

Ça s’exprime comment?
Ces gens pensent que nous ne sommes pas normaux, qu’on est des malades mentaux, qu’on doit nous soigner. Les moins transphobes se contentent de nous trouver super chelous.

C’est terrible, je comprends bien. Mais t’avoueras que c’est quand même pas anodin. Si un de mes enfants me dit qu’il est homo, ça me ferait rien, mais je t’avoue que j’aurais quand même quelques soucis s’il me disait qu’il voulait transitionner.
Pourquoi?

J’aurais peur qu’il soit malheureux, même si c’est un peu con car le fait qu’il souhaite transitionner signifierait qu’il l’est déjà. J’aurais peur qu’il regrette, qu’il doive traverser tout ce que tu viens de raconter et qui est quand même très dur.
Là, on touche au problème. On a l'impression que les personnes trans se condamnent au malheur alors qu’elles cherchent juste à être heureuses. C’est exactement pour faire changer cette perception que je me bats. Pour que quand un enfant dit à son père «je suis un mec trans», la première réaction ne soit pas immédiatement négative. Même si je peux comprendre que ça soit un choc. Et quand tu parles de «regrets», c’est une autre partie du problème.

Lequel?
Tu es toi-même victime de la surreprésentation de cette question du regret et de la détransition dans les médias. Tout le monde parle de ça aujourd’hui, alors que cela représente 0,047% des cas. Donc presque rien.

T’as sûrement raison. Des enfants, tu en veux, toi?
On verra. Peut-être. Mais ça sera encore une tout autre aventure.

Léon se bat pour que la transidentité ne soit plus perçue comme négative.
Photo: Gabriel Monnet
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