Sensibilisation et solidarité
Quel est l'impact réel des campagnes octobre rose?

Le mois d’octobre, consacré à la lutte contre le cancer du sein, voit se multiplier les campagnes et les initiatives. Quels effets ont-elles sur la cause? Comment reconnaître une action sincère et quels sont leurs effets? Éclairage.
Publié: 20.10.2023 à 16:33 heures
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

Ils trônent dans la vitrine d’une centaine de boulangeries confiseries romandes: les caracs roses ont repris leur place d’honneur depuis le 1er octobre 2023. Pour chaque douceur achetée, 50 centimes sont reversés à l’association Ose Thérapies, qui soutient les femmes touchées par un cancer du sein.

Le mois des rubans roses voit éclore diverses campagnes du même genre, notamment orchestrées par de grandes marques telles qu’Estée Lauder, Zenith ou Clarins. Le but? Récolter des fonds pour soutenir les projets de recherche médicale et sensibiliser la population à l’importance du dépistage. En effet, ainsi que nous l’expliquait le Dr. Alexandre Bodmer, responsable de l’Unité d’oncogynécologie des HUG, un dépistage précoce peut réduire la mortalité de 20%.

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Si les mammographies régulières, à raison d’une fois tous les deux ans, sont recommandées à toutes les femmes de plus de 50 ans ou génétiquement prédisposées à développer un cancer du sein, ce type d’examen n’est pas obligatoire: libre aux femmes de participer aux différents programmes de prévention, ou non.

«En principe, tout ce qui offre une plus grande visibilité à la cause est positif», estime Stefanie de Borba, porte-parole de la Ligue suisse contre le cancer.
Photo: Shutterstock

Rappeler l’importance des contrôles

D’après les informations de Swiss Cancer Screening, les mammographies réalisées en dehors des programmes de dépistage cantonaux ne sont pas consignées: il est donc difficile de chiffrer le nombre de femmes ayant régulièrement recours à une radiographie des seins. Or, une étude menée entre 2010 et 2018, en collaboration avec Unisanté, souligne que la participation aux dépistages organisés a sensiblement augmenté entre 2016 et 2018, pour atteindre 46%. La même étude indique également qu’en 2020, six femmes sur dix avaient accès à une mammographie gratuite dans l’un des 11 programmes de dépistage suisses.

L’évolution semble donc positive, sachant que les femmes âgées de 70-74 ans, le taux de participation est passé de 33% à 44% entre 2016 et 2018. Or, il ne s’agit pas d’une tendance généralisée: une récente étude de la Ligue française contre le cancer démontre que moins d’une femme sur deux âgée de 50 à 74 ans a réalisé son examen de prévention en 2022.

Un sondage révèle en outre que 12% des Françaises âgées de 50 à 74 ans n'ont jamais eu recours au dépistage. La principale raison évoquée: une absence de symptômes inquiétants. Notons qu'un début de cancer du sein ne présente souvent aucun signe.

L’importance des campagnes de sensibilisation paraît donc évidente, à condition que les informations soient vérifiées: «Il est important que les messages véhiculés par ces marques ou entreprises soient corrects, précise Stefanie de Borba, porte-parole de la Ligue suisse contre le cancer. Je pense notamment à l’autopalpation, évoquée dans de nombreuses campagnes. Bien sûr, ce réflexe est important pour connaître son anatomie et remarquer le moindre changement, mais il est essentiel de clarifier qu’il ne remplace absolument pas le dépistage!»

Un message de solidarité

Hormis la sensibilisation, un autre pilier d’octobre rose est la solidarité. «Les campagnes permettent d’exprimer notre soutien aux personnes malades et leurs proches, ajoute Stefanie de Borba. On oublie souvent ces derniers et il n’existe pas beaucoup d’offres pour les aider: octobre rose peut contribuer à soutenir toutes les personnes dont la vie a été impactée par le cancer du sein.»

En outre, ces campagnes font écho à un objectif commun: «Les consommateurs s’éloignent de plus en plus du consumérisme, afin de se rapprocher d’entreprises qui représentent leurs valeurs et soutiennent les causes qui leur tiennent à cœur, analyse Francine Petersen, professeure associée au département de marketing de l’Université de Lausanne Cela leur fait du bien, apaise une éventuelle culpabilité et leur permet de trouver une utilité plus large à leurs achats.»

Un vrai soutien pour les associations

On peut encore se demander si ces achats ont un réel impact sur la lutte contre le cancer. D’après Stefanie de Borba, la réponse est plutôt oui: «En principe, tout ce qui offre une plus grande visibilité à la cause est positif! Nous avons plusieurs partenariats avec des entreprises telles que Beldona et La Redoute. À priori, je pense que c’est une excellente manière de lever les tabous et de soutenir des projets de recherche ou d’aide aux patientes».

Parmi eux, on trouve l’initiative «Look good feel better», qui aide les femmes touchées à accepter leur corps impacté par la maladie: plusieurs entreprises soutiennent ce projet, en reversant une part des bénéfices de leurs opérations spécial octobre rose: «Ce type de campagne peut entrer dans la catégorie du marketing social, sachant qu’elles impliquent une stratégie d’auto-promotion pour les entreprises concernées, tout en servant une cause sociale plus large», précise Francine Petersen.

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Mélanie Tanner, en rémission d’un cancer du sein et responsable de l’initiative des caracs roses d’Ose Thérapies, confirme que ces campagnes peuvent constituer un soutien essentiel: «Notre association bénéficie d’une médiatisation géniale, mais survit grâce aux dons privés, souvent petits et irréguliers. Quand une grande entreprise apporte des milliers de francs, cela pourrait assurer la survie d’une fondation! Tout dépend évidemment de l’organisation du partenariat, qui doit représenter une situation win-win.»

Marketing social ou pinkwashing

Car oui, il arrive qu’une marque affirme qu’elle s’engage pour une cause, sans fournir beaucoup d’actions concrètes. C'est ce qu'on appelle du pinkwashing: «Je remarque parfois des promesses vides ou une certaine opacité quant à la somme d’argent effectivement versée, déplore Mélanie Tanner. Par exemple, j’ai récemment vu des firmes exprimer leur soutien sur les réseaux sociaux, sans mettre en place de réelles initiatives. C’est dommage!»

En effet, Francine Petersen constate que la frontière entre bons et mauvais exemples peut s’avérer difficile à identifier, surtout lorsqu’on ne connait pas très bien l’entreprise: «Quand une marque n’est pas impliquée dans la cause et ne pense qu’à redorer son image, les consommateurs et consommatrices le sentent; il ne faut pas les sous-estimer! Il arrive que le pinkwashing soit perçu instinctivement quand une action n’est pas suffisamment détaillée.»

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Alors, comment cibler la différence? Nous avons posé la question à la journaliste française Léa Lejeune, autrice de «Féminisme Washing» (Éd. du Seuil). Pour elle, les critères d’une campagne réellement féministe concernent autant l’organisation elle-même que sa campagne: parmi eux, on trouve l’équité et l’inclusion dans les équipes de l’entreprise, la prise en charge des coûts de santé, le fait d’éviter toute publicité mensongère, les représentations variées et la distribution d’un pourcentage important de l’argent levé par les opérations spéciales.

«Dès qu’il est élevé, on constate qu’il s’agit d’une véritable stratégie de marque qui veille à la place des femmes, comme à la cause du cancer du sein», ajoute-t-elle.

En parler fait déjà une différence

Lorsqu'on prend un peu de recul, tout ce qui apporte de la visibilité à la cause reste une chose positive. Dans ce sens, Francine Petersen confirme qu’il s’agit bel et bien d’une situation win-win, ne serait-ce qu’en ouvrant le dialogue et en mettant le phénomène en lumière: «Chaque communication, chaque message, bénéficie la cause en éveillant les consciences et en augmentant la sensibilisation.»

Mélanie Tanner acquiesce: «Au final, c’est vraiment cela, le but de ces campagnes: en parler, briser les tabous et encourager les femmes à se faire dépister, afin que moins de personnes ne souffrent de cette maladie.»

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