Son Insta cartonne
Ce Genevois fait des millions de vues grâce à son «bookstagram»!

Il est Genevois, a 28 ans et il a une passion: les livres. De celle-ci, Martin Boujol en a fait un métier. Avec plus de 250'000 followers, ce «bookstagrameur» cartonne avec son compte «La Nuit sera mots» sur les réseaux sociaux. Portrait.
Publié: 15.07.2024 à 21:04 heures
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Dernière mise à jour: 16.07.2024 à 07:11 heures
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

Des livres chez Martin Boujol, il y en a forcément partout. Dans la bibliothèque du salon, composée d’une multitude de caissettes du géant suédois bleu et jaune. Empilés sur les radiateurs, la cheminée, sur et sous la table basse. Quoi de plus normal pour celui qui a fait de sa passion pour les livres, son métier.

Au troisième étage d’un immeuble surplombant le rond-point de Plainpalais, il nous reçoit en chaussettes, grand sourire et le tutoiement facile. C’est ici, dans ce bel appartement à la décoration épurée, mais généreuse en plantes vertes, que le Genevois à la tignasse noire tourne ses capsules vidéo qui font un carton sur Instagram. Avec plus de 255’000 abonnés, le jeune homme âgé de 28 ans, est devenu le «bookstagrameur» — le prescripteur littéraire en bon français — le plus suivi du monde francophone.

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«Quand je regarde les photos que je postais à mes débuts, elles sont horribles! J’ai honte.»
Martin Boujol, influenceur littéraire, créateur du compte Instagram La Nuit sera mots
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«Pour certains, je suis un blogueur, pour d’autres, un influenceur ou encore un journaliste littéraire. J’adapte la terminologie en fonction de l’âge de mon interlocuteur», relève cet ancien directeur marketing, passé sur les bancs d’HEC, à Lausanne et à Saint-Gall.

Avec plus de 255'000 de personnes le suivant sur Instagram, ce «bookstagrameur» peut désormais vivre de sa passion.
Photo: Nicolas Righetti

Au commencement: 10 abonnés...

Lorsqu’il a ouvert son compte «La Nuit sera mots» — clin d’œil à «La Nuit sera calme» de Romain Gary, l’un de ses auteurs fétiches — Martin Boujol ne cumulait que dix abonnés, dont sa mère. C’était en 2019. «J’étais en vacances en Thaïlande, j’ai repéré une baie vitrée sympa qui donnait sur une jolie végétation. J’ai empilé quelques livres sur le divan juste devant. J’ai pris une photo et je l’ai postée sur ma page.»

À l’époque, loin de lui l’idée d’en faire un métier. Plutôt un hobby, sorte d’échappatoire à son master en business à l’Université de Saint-Gall dans lequel il ne se retrouvait plus. «Les cours m’ennuyaient et je sentais bien que les métiers vers lesquels on nous dirigeait, ce n’était pas trop truc», raconte-t-il, installé sur son canapé vert d’eau. «Et puis, tout le monde là-bas parlait allemand. Trouver des gens avec qui échanger sur la littérature, c’était compliqué, tu vois.»

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En vingtenaire rompu aux codes de sa génération connectée, c’est via les écrans que ce natif de Genève, qui a vécu aux Etats-Unis, à Berlin et à Londres, partage des clichés de ses lectures «coups de cœur». Des ouvrages qu’il chronique, plutôt des classiques pour commencer, en mettant un point d’honneur à soigner l’esthétique. Son compte, il le veut plaisant à lire et à regarder. Il se marre: «Quoique quand je regarde les photos des débuts, elles sont horribles! J’ai honte.»

Le jeune loup de la finance devient influenceur

«La Nuit sera mots» passe la barre des 10’000 abonnés au prix de gros efforts et de (très) longues journées. Martin Boujol a 26 ans et est directeur marketing d’une société d’investissement. «Je me levais à 6h du matin pour pouvoir lire, rédiger mes textes et préparer mes vidéos. Bureau de 9h à 19h et en soirée, je bossais à nouveau sur mon projet. Le blog me prenait trop de temps, soit j’arrêtais, soit je tentais de vraiment le développer.»

Martin Boujol peut avoir le sourire. Son compte Instagram, La Nuit sera mots, réunit plus de 250'000 abonnés !
Photo: Nicolas Righetti

Vous l’aurez deviné, c’est la deuxième option qu’il choisit. Au même moment, le réseau social chinois TikTok monte en puissance, poussant Instagram à changer son fusil d’épaule et à miser sur les «réels», des vidéos verticales au potentiel très addictif. Le passé HEC et la fibre entrepreneuriale de Martin se révèlent de précieux atouts. «J’ai compris qu’il y avait un créneau à saisir. J’ai réfléchi à la forme optimale de ces 'réels'. Il me fallait proposer des vidéos courtes, soignées, avec une promesse de valeur pour donner envie aux gens de les sauvegarder pour plus tard et de les partager avec leurs potes.» De cette analyse, naît un concept, simple et percutant: des listes d’incontournables comme «5 livres faciles à lire en moins de deux heures», «5 livres à lire pour voyager», «5 livres sur la Première Guerre mondiale».

Les «réels», la formule magique

Celui qui est venu à la lecture grâce à la saga Harry Potter aurait-il trouvé la formule magique? La capsule «5 classiques à lire en un après-midi (ou moins) atteint les deux millions de vues! «J’ai gagné 20’000 abonnés en une semaine, j’ai crû que je m’étais fait hacker!», plaisante-t-il en réajustant ses chaussettes blanches, toujours assis sur le canapé du salon. 

Un succès qu’il explique aussi par une communication qui s’est élargie, au-delà du cercle des passionnés de littérature. Et par une volonté de démocratiser la pratique de la lecture, de la rendre accessible à toutes et à tous. «Beaucoup de personnes aimeraient s’y mettre, mais n’y parviennent pas par manque de temps, de motivation ou ne savent tout simplement pas par où commencer. Alors, je leur propose des classiques pas trop longs, des livres sur des thèmes précis et je leur donne des conseils: ‘comment trouver du temps pour lire’, ‘comment bien choisir un bouquin dans une librairie’.» Martin, c’est le bon pote qui vous veut du bien.

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Lorsqu’il atteint les 100’000 abonnés en 2022, le jeune loup de la finance lâche définitivement son job. «Je venais de terminer un mois d’armée. Et je ne voulais pas retourner bosser. Quand tu n’as pas envie de partir de ton cours de répét’, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche», s’amuse-t-il.

Une passion qui rapporte

Aujourd’hui, Martin Boujol vit de «l’influence» grâce à des partenariats commerciaux avec des maisons d’édition qui, elles, cherchent à rajeunir leur audience. Ces «contenus sponsorisés» sont signalés sous les publications Instagram du prescripteur littéraire. «Ces éditeurs m’envoient des propositions de catalogues ou un livre spécifique à mettre en avant. Si j’aime bien, je fais un truc et on me rémunère.» Au risque de perdre son indépendance? «Non, si un livre ne me plaît, je n’en parle pas, c’est tout», répond-t-il. Et d’assurer: «Jamais, je ne mentirai dans une vidéo. Si je le fais, je te garantis que je suis foutu. Je perdrai toute crédibilité auprès de ma communauté.»

En parcourant sa bibliothèque des yeux, il se souvient avec émotion de son premier choc littéraire, «Les Cerfs-Volants» de Romain Gary. Il est en 9ᵉ, à Nyon, au collège du Rocher. «Notre prof de français nous l’a mis entre les mains. Et L’histoire m’a transporté! Je me suis dit ‘waouh’, c’est de la littérature classique et pourtant j’adore. Forcément à 15 ans, j’ai pu m’identifier au narrateur qui en pince pour une fille, mais qui ne sait pas trop y faire.»

Depuis le virus de littérature ne l’a pas quitté. Pour alimenter son compte, il lit environ trois livres par semaine et poste quatre contenus hebdomadaires. La lecture, toujours un plaisir, maintenant qu’elle est devenue un métier rémunéré? «Bien sûr que parfois, j’ai la flemme, admet-il. Mais franchement, je vis un rêve éveillé. Je discute avec des auteurs, je rencontre plein de gens, je fais des chroniques à la radio, je participe à des salons littéraires, je collabore avec des théâtres, etc.»

Et écrire un livre, il y pense? «Oui, mais j’ai un peu peur d’être publié pour les mauvaises raisons. Peut-être que j’écrirai sous un pseudonyme.» Comme son idole, un certain Romain Gary.

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