Attendre trois quarts d'heure avant de plonger nos dents de lait dans une part de cake, patienter jusqu'à midi pour avoir le droit de refermer le redoutable cahier d'allemand, compter les vingt-deux jours qui nous séparent de notre anniversaire... Quelle infâme torture! L'enfance est l'époque de l'impatience et de la hâte, l'univers des aiguilles de montre paresseuses et des trajets en voiture interminables («On arrive quaaaand?!»).
À l'âge adulte, ce monde semble si lointain qu'il est parfois difficile de croire qu'on ait pu, un jour, trouver un quart d'heure aussi long. Le temps n'a pourtant pas accéléré depuis nos cinq ans: la Terre poursuit sa trajectoire annuelle autour du soleil et nos antiques montres FlikFlak continuent d'émettre les mêmes cliquetis tonitruants à chaque seconde qui passe. Mais depuis qu'on est devenus grands, les semaines fusent sans relâche et sans merci, nous laissant là, tout penauds, nostalgiques d'une ère dans laquelle deux heures de marelle pouvaient contenir notre vie entière.
Si vous vous êtes déjà interrogés quant à cet étrange phénomène, sachez qu'il existe plusieurs explications neurologiques: la moins romantique, découverte par un chercheur de l'Université américaine de Duke en 2019, est simplement liée au vieillissement du cerveau, qui absorbait et triait les nouvelles informations plus rapidement quand nous étions jeunes. Ainsi, une journée paraissait plus longue dans l'enfance, puisqu'on était capables d'enregistrer beaucoup plus de nouvelles données qu'à l'âge adulte... Pas de panique, les autres raisons possibles sont un peu moins déprimantes!
La perception du temps est proportionnelle à l'âge
Voilà qui paraît tout à fait logique! Pour un enfant qui vit son quatrième printemps, une année s'apparente à un quart d'existence. Ainsi que le confirme Cindy Lustig, professeure de psychologie à l'Université du Michigan, auprès du «Huffington Post», notre perception du temps est largement influencée par notre mémoire et nos expériences: «Pour un écolier âgé de 8 ans, une semaine représente une portion conséquente de sa vie, précise-t-elle. En revanche, pour un individu âgé de 80 ans, la même semaine constitue une portion beaucoup plus infime comparée à l'entièreté de sa vie. Cela contribue au sentiment qu'elle est passée plus vite.»
Par ailleurs, l'experte constate que notre image des journées, des semaines et des années dépend beaucoup du point de vue que nous adoptons à l'instant T: «Vivons-nous dans le moment présent ou passons-nous le plus clair de notre temps à revivre notre passé?», analyse-t-elle. En effet, plus on se repasse le film mental de nos souvenirs, plus on aura le sentiment que ceux-ci sont passés à la vitesse de l'éclair.
Les journées d'adulte se ressemblent
«Si l'on prend l'exemple d'une personne âgée de 80 ans ou plus, il est probable que sa vie actuelle n'a pas beaucoup changé depuis quelques années, poursuit Cindy Lustig. Dans ce cas, les souvenirs récents comprennent moins d'événements nouveaux. Et moins notre représentation du passé est riche et variée, plus on aura l'impression que le temps est passé vite.»
En d'autres termes, notre cerveau regroupe automatiquement les événements très similaires, floutant l'écoulement des journées et trompant notre mémoire. La preuve: vous souvenez-vous du petit-déjeuner que vous avez dévoré mercredi dernier? Si la réponse est «oui», sans doute cette journée était-elle spéciale ou remplie d'événements inhabituels! Or, s'il s'agissait d'un mercredi tout à fait ordinaire, composé des mêmes routines, il est possible que vous mettiez quelques minutes à vous souvenir de votre bol de céréales au miel.
«Notre cerveau est conçu pour enregistrer le changement, poursuit Adrian Bejan, professeur d'ingénierie mécanique à l'Université de Duke. Les nombreuses expériences inédites que vivent les jeunes enfants en une seule journée (comme apprendre quelque chose de nouveau à l'école, suivre leur premier cours de danse ou jouer avec un nouvel ami) renforcent la notion que le temps est plus abondant et qu'il peut contenir davantage de choses.»
Nos émotions influencent le passage du temps
Dans un article publié en 2018 par l'organisation «Association of psychological science», un duo de chercheurs américains s'est penché sur l'effet de nos émotions sur la perception du temps. En effet, leurs différentes recherches ont souligné que des émotions désagréables telles que la peur peuvent nous donner l'impression que les minutes s'écoulent plus lentement, tandis que le plaisir semble l'accélérer. En revanche, le désir parait également le ralentir: confrontés à des photos alléchantes de pâtisseries, les participants à une étude réalisée en 2012 avaient l'impression que le temps était bien long.
Cela explique pourquoi des journées, voire des périodes de la vie plus difficiles peuvent donner l'impression d'avoir été incommensurables. L'expression «le temps passe plus vite quand on s'amuse» est donc validée par la science.
Comment ralentir le temps?
Ainsi, hormis le vieillissement naturel du cerveau auquel on ne peut malheureusement pas grand-chose (sauf ces quelques réflexes essentiels qui le maintiennent actif), la plupart de ces phénomènes peut être contrée!
Pour élastifier le temps et remplir notre quotidien d'éléments nouveaux, ainsi que nous le faisons instinctivement durant l'enfance, il convient par exemple de s'adonner plus souvent à des expériences totalement inédites, de changer légèrement nos habitudes ou d'introduire de nouvelles routines au flux de journées qui se ressemblent.
Par ailleurs, d'après Cindy Lustig, le simple fait de pratiquer la pleine conscience, en vivant au maximum l'instant présent, peut élargir notre perception du temps: «N'essayez pas de vous concentrer sur plusieurs tâches en même temps, mais focalisez votre attention sur l'expérience que vous vivez là, maintenant, conseille-t-elle. Aucun d'entre nous ne peut prédire combien de temps lui sera donné, mais en ce qui concerne notre façon de vivre ce temps, nous avons plus de contrôle que nous le pensons! J'encourage tout le monde à profiter au maximum du temps qui lui est imparti.»
