Mythe en cuisine
Saler un steak juste avant la cuisson? Totalement inutile!

On entend souvent qu'il faut saler un steak avant cuisson, pour que les cristaux pénètrent dans la chair. Inutile: à moins de vous y prendre au moins 24 heures plus tôt, il restera désespérément en surface…ou dans la poêle.
Publié: 15.05.2023 à 11:14 heures
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Dernière mise à jour: 22.05.2023 à 10:22 heures
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Fabien GoubetJournaliste Blick

C'est une question qui divise les chefs jusqu'aux plus célèbres: faut-il saler son steak juste avant, ou juste après la cuisson? Les premiers tels Jean-François Piège estiment que le sel attendrit les fibres en amont, tandis que les seconds, dont Joël Robuchon faisait semble-t-il partie, y voient une hérésie qui aurait pour seule conséquence d'assécher la viande. Alors?

En fait, personne n'a raison. Et heureusement, car une bataille de rangée de chefs aux couteaux parfaitement aiguisés ferait désordre. Lorsque l'on examine scientifiquement la question, on constate que saupoudrer son steak de sel juste avant de le griller… n'a aucun effet du tout.

Dans les années 2000, le physico-chimiste spécialiste du goût Hervé This a mené des expériences en observant des lamelles de viande au microscope électronique à balayage. Et de conclure: «Nous n'avons pas vu plus de sel dans une entrecôte salée avant la cuisson, ou dans une entrecôte non salée».

Faites comme Salt Bae, salez à la fin!

Le sel ne peut pas pénétrer dans les fibres du muscle

Pour comprendre ce qui se joue dans la poêle, il faut zoomer au plus profond de la viande, un muscle dont la structure s'apparente à celle d'une poupée russe: il est composé d'un alignement de fibrilles plus ou moins parallèles et regroupées en fibres, puis en faisceaux, ces faisceaux eux-même regroupés, et ainsi de suite. Fibres, faisceaux, paquets, paquets de paquets et tout le tralala sont entourés de gaines de tissu protéique appelé collagène, une membrane semi-perméable limitant fortement la pénétration du sel. Prenez un tuyau d'arrosage et déposez du sel dessus: jamais il n'ira saler l'eau qui coule dedans. À moins…de le faire entrer par l'une des extrémités.

Un muscle en coupe transversale; avec une organisation en poupée russe: des fibrilles regroupées en fibres, puis en faisceaux
Photo: Thierry Astruc / HAL Archives ouvertes

Ça, c'est possible dans la viande, à condition que ses fibres soient coupées transversalement (un peu comme dans le schéma ci-dessus). C'est le cas dans une côte de bœuf, mais pas dans une bavette, où les fibres sont intactes et bien visibles dans leur longueur. Autrement dit, cette affaire de sel dépend aussi des pièces qu'on veut cuire!

D'après Arthur Le Caisne, auteur de En cuisine, toutes les vérités sont bonnes à dire! (Marabout), il faut entre 1h et 1h30' au sel pour pénétrer dans 1 mm de bavette, contre de 30' à 1h pour une viande aux fibres coupées de travers. Dans les deux cas, saler votre steak quelques secondes ou minutes avant de le cuire n'a strictement aucun effet: le sel restera principalement en surface, dans les petites crevasses de la croûte, mais n'y entrera pas. Alors autant le saler dans l'assiette.

Autre argument à faire valoir, le sel a pour effet de faire sortir l'eau de la viande par un phénomène appelé osmose qui vise à égaliser les concentrations salines entre l'intérieur et l'extérieur des fibres musculaires. L'eau ainsi extraite va avoir tendance à dissoudre et emporter le sel avec elle lors de la cuisson, et tout cela finit vaporisé dans la poêle ou dans les braises du barbecue.

Saler oui, mais au moins 24 heures avant

Attention, gardez quand même la salière sur le plan de travail car il reste des exceptions. Les viandes les plus tendres ainsi que les poissons ont très peu de collagène: les faisceaux sont donc moins bien tenus en place si bien qu'à la cuisson, ils se défont, et des fissures se forment. Dans ces conditions, si on sale avant la cuisson, la solution saline qu'on a créée peut revenir au cœur de la viande par capillarité. «Le sel ne sera pas entré dans les fibres musculaires, mais entre les fibres, ce qui, finalement, revient au même du point de vue du salage de la viande que l'on mange», précise Hervé This.

Enfin, signalons qu'il est tout de même possible d'obtenir un effet du sel avant la cuisson, en s'y prenant longtemps à l'avance afin de laisser le temps à l'eau salée d'être réabsorbée dans la chair. Cela nécessite, pour une pénétration de 2 cm, une quinzaine d'heures pour une bavette, 24 heures pour une côte de bœuf, estime Arthur Le Caisne.

Pour une côte de bœuf, prévoyez environ 1% du poids de la viande en sel fin, saupoudrez et massez tous les côtés, et laissez-la reposer 24 heures au frais, sans emballage, en la posant sur une grille par dessus une plaque ou une assiette (c'est important, pour ne pas laisser la viande barboter dans son jus).

Le jeu en vaut la chandelle, comme nous l'expliquions dans notre guide du steak parfait: par ce dry-brining ou saumure à sec, la présence de sel limite fortement la perte d'eau liée aux protéines de la viande lors de la cuisson. La chair garde ainsi tous ses précieux liquides, pour une viande plus tendre, plus juteuse: ça valait la peine d'y mettre son grain de sel non?

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