Faux gras, vraie déception
Que valent les foies gras végans? On les a goûtés

Le plaisir du foie gras sans la souffrance animale. Voilà ce que promettent les succédanés végétaux qui se sont multipliés ces dernières années dans les rayons ou à la carte de certains chefs. L’intention est louable, mais les saveurs sont-elles à la hauteur?
Publié: 14.12.2023 à 16:27 heures
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Dernière mise à jour: 15.12.2023 à 12:12 heures
Elodie Maître-Arnaud

C'est un aliment qui divise. Pas autant que l'ananas sur la pizza ou la crème dans la carbonara, mais quand même: le foie gras est un aliment aussi délicieux que clivant. 

En Suisse, le gavage des animaux est interdit depuis plus de quarante ans. Du coup, le pays en importe, majoritairement depuis la France, premier producteur mondial. Fin septembre 2023, le Conseil national a finalement renoncé à interdire l'importation de cette denrée.

Voilà pour le contexte. De notre côté, on a voulu savoir ce que vaut l’alternative végétale à la recette originale, si prisée à l’occasion des fêtes de fin d’année. Mais avant d’y goûter, on voulait aussi comprendre l’intérêt de proposer des ersatz végans aux spécialités carnées. Après tout, lorsque l’on décide de renoncer à consommer de la viande, pourquoi manger des imitations? 

L'industrie veut absolument nous faire manger des produits carnés revisités à partir d'ingrédients végétaux.
Photo: Nestlé

Pas forcément une question de goût

«C’est l’une des attaques les plus souvent évoquées à propos de ce que j’appelle plutôt des similis végétaux», répond le chef Renaud Roger. On ne devient en effet pas forcément végan parce que l’on n’aime pas la viande. C’est surtout parce que l’on souhaite lutter contre l’exploitation des animaux, par conscience environnementale ou pour notre santé. Mais quand on mange de tout depuis qu’on est enfant, les habitudes sont tenaces. «Il est difficile de changer nos repères en matière d’alimentation», confirme-t-il. «Le simili est donc une bonne approche, en phase de transition, pour nous aider à passer à autre chose.»

Pas étonnant donc que les produits d’origine végétale tentant de reproduire le goût et la texture des aliments carnés se multiplient dans les rayons, dans un contexte où celles et ceux qui renoncent totalement ou partiellement à la viande sont plus de plus nombreux. Mais pour ce chef qui a su séduire les habitués du Yogi Booster, à Lausanne, avec ses créations 100% végétales, ces produits perdent temporairement de vue le vrai changement de paradigme créé par la cuisine végétale: concevoir des recettes bonnes pour la santé. Ce qui n’est effectivement pas franchement le cas des similis de foie gras qui nous intéressent ici.

Le faux gras est (très) riche en lipides

Car cette alternative végétale, parfois désignée sous le nom de «faux gras» ou «faugras», contient principalement… du vrai gras. Et pas qu’un peu! Jugez plutôt: 43% de lipides, par exemple, pour le Voie Gras de Nestlé, lancé en 2022. Pas pire, certes, que le foie malade d’une bête gavée (environ 55% de lipides pour l’oie), mais trop pour ceux qui penseraient que végétal veut forcément dire sain. 

Ceci étant, on a bien compris que ces «faux gras» sont là uniquement pour «permettre aux épicuriens sensibles au bien-être animal de se faire plaisir sans aucun remord» (dixit Nestlé). Mais pour se faire plaisir en festoyant sans faire souffrir les animaux, encore faut-il que nos papilles y trouvent leur compte.

Photo: Nestlé

La curiosité n’étant pas un vilain défaut quand on parle de cuisine, j’ai proposé une minidégustation à la maison, histoire de voir si la version végétale tient la route par rapport à l’originale. Deux questions étaient posées au jury familial: est-ce que ça ressemble vraiment au foie gras? Mais surtout, est-ce que c’est bon? Voici le verdict, pour une terrine artisanale préparée par Renaud Roger et une terrine industrielle de Nestlé.

L’effet Canada Dry

A l’œil, on est bluffé par la ressemblance de la préparation artisanale de Renaud Roger avec un petit bloc de foie gras mi-cuit. Le chef a même poussé le jeu jusqu’à la recouvrir d’une fine couche jaune évoquant la graisse de canard ou d’oie. L’odeur est délicate, et la texture caractéristique du foie gras est bien là, à la fois ferme et fondante – grâce à l’association de plusieurs oléagineux (dont la châtaigne) pour le gras, d’agar-agar et d’épices, entre autres. Et tant pis si l’on ne retrouve pas vraiment le goût du foie gras, parce que c’est bon! On finira même le pot le lendemain à l’apéro, sur des petits morceaux de pain de campagne grillé.

Le Voie Gras imaginé par Nestlé contient notamment des graisses, de la levure, des protéines de soja, de la pâte miso, du sésame grillé, des champignons en poudre, et – sans surprise pour une préparation industrielle – quelques additifs. A l’ouverture du pot, son aspect très lisse fait davantage penser à une sorte de mastic qu’à une terrine. L’odeur est douce, la texture est agréable, même si elles évoquent plutôt celles d’une mousse de canard. Quant au goût, plus de doute, on sent le gras, mais on s’éloigne du foie pour finalement garder en bouche une sensation légèrement acide et pâteuse. Ce n’est pas mauvais, mais rapidement écœurant.

En résumé, on retient surtout l’effet Canada Dry de ces deux succédanés (en référence à une pub des années 1980 pour cette boisson dorée qui ressemble à de l’alcool… mais qui n’est pas de l’alcool). Et quitte à se passer de foie gras pendant les fêtes, on optera plutôt pour une petite pâte d’artichauts à la truffe!

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