Cinq ans de plus à Bruxelles?
Entre la Suisse et Ursula von der Leyen, un dialogue de sourds européen

La présidente sortante de la Commission européenne lorgne avant tout vers les grandes capitales de l'Union, et vers Washington. La Suisse, pays-tiers qui pose sans cesse des conditions, ne l'intéresse pas.
Publié: 19.02.2024 à 16:56 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ursula von der Leyen n’a guère d’atomes crochus avec la Suisse. C’est ainsi: la présidente allemande de la Commission européenne, qui vient d’officialiser sa candidature à un second mandat ce lundi 19 février, préfère s’afficher comme patronne de l’Union (ce qu’elle n’est pas) plutôt que comme négociatrice en chef avec les pays tiers (ce qu’elle devrait être, entre autres).

«A aucun moment, nous n’avons senti chez elle de l’empathie. Il faut dire que le Brexit l’obsédait. Pas question de laisser le moindre espace à la Confédération après le divorce avec le Royaume-Uni», raconte un diplomate helvétique qui fut en poste à Bruxelles. Von der Leyen, alias VDL, n’a pas été ministre de la Défense pour rien, sous les gouvernements successifs d’Angela Merkel. Elle regarde d’abord du côté des pays membres de l’Union européenne qui comptent «le plus grand nombre de divisions». Quitte à imposer une loi du silence autour d’elle, comme elle l’a fait sur la question des vaccins anti-covid, après les allégations de conflit d’intérêts à propos de son mari, partenaire du géant Pfizer.

Imaginer son maintien à la tête de la Commission européenne, l’exécutif de l’UE fort de 30'000 fonctionnaires, n’est donc sans doute pas le scénario préféré à Berne. Ignazio Cassis, négociateur en chef pour le Conseil fédéral, sait par exemple que la Communauté politique européenne (CPE), cette réunion d’une quarantaine de pays autour des 27 membres de l’Union, poussée par Emmanuel Macron, n’est pas trop du goût de VDL.

C'est à Berlin, à l'issue d'une réunion du parti Chrétien démocrate CDU, qu'Ursula von der Leyen a officialisé sa candidature à un second mandat à la présidence de la Commission européenne.
Photo: DUKAS
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Courtiser le centre-droit

L’intéressée, dont le sort politique va dépendre du résultat des élections européennes de juin, n’aime pas les forums élargis et intergouvernementaux qui l’obligent à s’effacer derrière les Chefs d’État ou les premiers ministres. Et encore moins les négociations compliquées qui, comme les bilatérales avec la Suisse, peuvent à tout moment achopper et vont exiger une bonne dose de compréhension sociale, notamment sur la question des salaires.

«Toute son action de ces derniers mois vise son camp conservateur et de centre-droit. Toutes ses propositions visent à satisfaire la base électorale du Parti populaire européen (regroupement des partis de droite traditionnels) comme son virage à droite sur l’immigration ou sa proposition d’autoriser l’abattage des loups», jugeait, en janvier, l’influent média anglophone Politico. Aucun goût de sa part, non plus, pour la neutralité, vu ses convictions atlantistes et son positionnement pro-Israël qui lui a valu de nombreux détracteurs du côté de pays davantage pro-palestiniens, comme l’Espagne.

Mais qui, alors, pour la remplacer? Ce n’est évidemment pas à la Suisse, pays si jaloux de sa souveraineté et resté en dehors de l’UE, de se prononcer pour un candidat. «L’essentiel pour nous se joue au niveau du vice-président Maros Sefcovic (slovaque). Il est notre interlocuteur et il devrait le rester jusqu’au scrutin européen. L’intérêt de Berne est donc plutôt de conclure le nouveau paquet d’accords bilatéraux avant la fin de son mandat», complète notre interlocuteur diplomate.

Désignation en juillet

Le président – ou la présidente – de la Commission européenne pour 2024-2029 sera désigné par le Conseil européen (la réunion des 27 chefs d’État ou de gouvernement) lors de leur sommet de juillet à Bruxelles. Sa couleur politique dépendra du résultat des élections européennes de juin, puisque c’est dans le camp victorieux qu’il devra être recruté. En 2019, Ursula von der Leyen avait surgi par surprise, suggérée entre autres par Emmanuel Macron pour éviter Manfred Weber, le chef des eurodéputés conservateurs.

Qui, aujourd’hui, est sur les rangs? A Paris, le nom du Commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton, familier de la Suisse, est évoqué, mais ce scénario est jugé très peu probable. Le nom de l’ancien premier ministre Néerlandais Mark Rutte, dont le pays comporte de nombreuses similitudes avec la Suisse, avait aussi circulé, mais il est donné partant pour l’OTAN. Aussi entendu? Le nom de Mario Draghi, l’ancien président du Conseil Italien et ancien patron de la Banque centrale européenne, fort de ses bonnes relations avec Giorgia Meloni, qui lui a succédé au palais Chigi.

Pas d’enthousiasme

VDL? A vrai dire, ces trois initiales n’enthousiasment personne. Ni à Bruxelles. Ni à Paris. Et moyennement à Berlin où le Chancelier Olaf Scholz, social-démocrate, s’accommode de sa candidature plus qu’il ne la soutient. Quant aux pays d’Europe de l’Est, ils sont divisés. La Pologne lui est reconnaissante de son soutien fervent à l’Ukraine, mais son opposition frontale à l’ex-gouvernement national-populiste polonais a heurté, tout comme en Hongrie où Viktor Orban rêve de lui faire mordre la poussière politique.

Et si l’annonce de cette candidature était, pour VDL, d’abord une manière de se positionner dans le futur carrousel des nominations européennes? Il faudra désigner en juillet un(e) président(e) du Conseil et du parlement européen. Il y aura aussi, parallèlement, le poste de secrétaire général de l’OTAN. A la tête de la BCE, la française Christine Lagarde est, elle, officiellement en poste jusqu’en 2027. C’est d’ailleurs dans ce dédale qu’un Suisse espère trouver le chemin pour son «graal diplomatique». Candidat au poste de Secrétaire général du Conseil de l’Europe, l’institution basée à Strasbourg, Alain Berset aurait en effet tout à perdre à une bataille rangée à Bruxelles et à une nouvelle irritation anti-helvétique au sein des 27, si les négociations bilatérales calent alors qu’elles viennent juste de reprendre… 

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