Chronique de Nicolas Capt
L’initiative «200 francs ça suffit» est un piège pour la SSR

Me Nicolas Capt, avocat en droit des médias, décortique deux fois par mois un sujet d’actualité ou un post juridique pour Blick. Cette semaine, il se penche sur les assauts répétés contre la redevance.
Publié: 24.01.2023 à 11:36 heures
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Dernière mise à jour: 24.01.2023 à 15:28 heures
Nicolas Capt

C’est une forme de marronnier, du nom que l’on donne aux sujets récurrents, parfois un peu bateaux, qui jalonnent la vie du journaliste: les attaques contre la redevance qui finance, en Suisse, l’audiovisuel public.

Chacun se souvient de la précédente salve, l’initiative dite «No Billag», laquelle avait pour ambition de fermer les vannes à la SSR. Portée devant le peuple, elle avait été sèchement balayée par celui-ci en 2018, à près de 72%.

La population, moins dupe qu’escompté, n’avait pas cédé aux sirènes du populisme et avait marqué son attachement fort au service public.

Les arguments d’aujourd’hui contre la SSR, sont ceux qui, demain, serviront les opposants de tous poils aux aides publiques à la presse. (Image d'illustration)

Le budget de la SSR réduit de moitié

Mais attention, ce soutien ne signifie pas forcément que la SSR vogue depuis lors sur une mer calme: le paquebot pourrait à la vérité se révéler frêle esquif dans la tempête qui promet d’agiter le monde des médias avec l’initiative «200 francs, ça suffit». Comme son nom l’indique, cette dernière se propose de réduire à 200 francs une redevance qui se monte actuellement à 335 francs. Grosso modo, c’est une coupe de moitié du budget de la SSR.

On ne peut ainsi que suivre Gilles Marchand, directeur de la SSR, quand il agite le spectre d’un vrai impact sur l’offre de programmes et les lieux de production, ainsi que l’évidence d’une vague de licenciements.

Et cette fois, le risque paraît plus grand pour le diffuseur de service public: une simple diminution de la redevance, outre qu’elle allègerait les dépenses du ménage, et possède donc cette indéniable séduction, paraît de prime abord ne pas mettre en jeu l’existence du diffuseur ou même sa capacité à proposer une offre de qualité.

Un allégement des consciences

L’initiative, au fond, permet de préserver les consciences: «je vote pour une diminution de la redevance, pas pour sa suppression, et une rationalisation va sans doute permettre de ne pas toucher l’offre – ou si peu». C’est là où le raisonnement est spécieux: en procédant à une coupe d’une telle ampleur, c’est tout l’édifice qui s’en trouve fragilisé.

La manœuvre s’apparente à un petit coup de vilebrequin dans la coque du navire; la voie d’eau est au début maîtrisable, mais elle peut rapidement faire sombrer l’entier du vaisseau, sans compter qu’une réduction de la redevance, et donc de l’offre de programmes, entraînera mécaniquement une baisse des revenus publicitaires et de sponsoring, par définition en étroite corrélation.

Toute la presse en pâtirait

De son côté, la presse écrite, parfois tentée de se réjouir des turpitudes de son voisin public, ferait bien d’y songer à deux fois. Le signal fort que tend à traduire cette initiative, c’est celui de la fermeture des cordons de la bourse publique.

N’oublions pas que c’est de cette même bourse que d’éventuelles futures aides à la presse seront prélevées. Les arguments d’aujourd’hui contre la SSR, sont ceux qui, demain, serviront les opposants de tous poils aux aides publiques à la presse. Prudence, donc.

C’est un fait. Les critiques, acerbes, contre l’audiovisuel public sont à la mode. En France, c’est Cyril Hanouna qui s’y colle, brandissant - pour choquer des téléspectateurs qui aiment à s’outrer à l’heure de la soupe - des chiffres qui, hors contexte, paraissent évidemment énormes.

«Un pognon de dingue», dit-il. Non sans s’assurer que ses chroniqueurs, interrogés sur le gouffre que constituerait l’audiovisuel public, donnent des chiffres plus bas - mais déjà fort importants - pour s’assurer de l’effet de contraste qu’il recherche.

La qualité a son prix

Le populisme médiatique dans son acception la plus parfaite. Le point d’orgue? «Privatisez-moi tout ça!» En France, l’audiovisuel public est actuellement financé par l’Etat à hauteur de 3.8 milliards d'euros. Cet argent sert à financer de nombreux acteurs, et non des moindres: France Télévisions, Radio France, Arte-France, France Médias Monde (France 24 et RFI), TV5 Monde ou encore l’Institut national de l’audiovisuel (INA).

La qualité de l’audiovisuel, là-bas comme ici, a un prix. Et remettons l’église au milieu du village: en France, le budget alloué à l’audiovisuel public ne se monte qu’à… 0,16 % du PIB du pays. Autres chiffres, autres perspectives, sans doute moins hanouniennes.

Mais revenons-en à la SSR. Evidemment, celle-ci n’est pas exempte de reproches. Il y a sans nul doute des économies à réaliser et un fonctionnement à améliorer. Et d’aucuns soulignent, parfois à raison, des partis pris ou biais rédactionnels qui à l’occasion dérangent, parfois accompagnés d’une certaine forme de suffisance.

Le spectre d'une disparition

Ne nous méprenons toutefois pas: il faut sauver le soldat SSR. Accepter une telle coupe dans le budget de notre radio-télévision nationale, c’est lui faire courir le risque de sombrer, et c’est nous faire courir le risque de nous priver d’un diffuseur audiovisuel globalement de qualité. Un bien indéniablement précieux en ces temps troublés, sans doute aussi parce qu’il constitue une forme de substrat de la cohésion nationale, au-delà des régions linguistiques et des sensibilités régionales.

Au fond, la SSR est comme cet oncle parfois un peu agaçant, aux idées que l’on ne partage pas toujours, qui parfois nous échappe, mais dont la disparition serait un insupportable coup de tonnerre.

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